* Petite dose d’exotisme 2.

Posted on novembre 20th, 2008 by Elise. Filed under Non classé.


Finissons un peu de brosser l’exotisme sur les routes quotidiennes…

Il y a ici plusieurs sortes de chemins. Quelques voies goudronnées sont bien pratiques et assez laides, quoique moins que chez nous, mais parfois si recouvertes de poussière rouge qu’on ne croirait plus rouler sur du bitume ; d’autres ont renoncé tout bonnement à quelque forme d’asphalte, et se distinguent des précédentes un peu par la couleur ou la poussière, beaucoup surtout par le micro et macro-relief dont le sol se défend contre pieds et roues de toute sorte, avec plus de virulence, me semble-t-il, envers les yovo. Puis il y a les pistes, larges plus ou moins, en tout cas entourées de savane, presque toujours arborée dans la région. Dans la montagne, là où nous étions samedi dernier, la savane arborée se mue en forêt tropicale, lianes, humidité, arbres gigantesques à l’appui. Pour aller au collège Kpodzi, en revanche, chaque jour, j’aventure l’assemblage de pièces métalliques roulantes qui me sert de vélo par une piste au milieu des herbes – raccourci qui m’évite de passer par la ville, à quelques cinq kilomètres de mon point de départ et autant de ma destination, mais qui me fait traverser ce qui fut un mince cours d’eau il y a quelques jours, maintenant un fossé sec jusqu’à la prochaine saison des pluies. Pourtant, j’aimais bien passer sur les pierres qui affleuraient en tirant ma chose vélocipédoïde avec moi.

Oh, car ladite pseudo-bicyclette, et l’usurpation de ses titres… parlons en ! C’est tout un poème.

Pourtant je vous épargne mes alexandrins.

Il s’agit d’un assemblage de pièces – provenances diverses dans l’espace, le genre et le temps, sans accord ni en cas, ni en genre, ni en nombre avec l’idée que vous vous faites d’un vélo ordinaire. L’ensemble possède des propriétés esthétiques non négligeables, notamment s’il concoure dans la catégorie étrangeté du détail, mais il péche fortement contre l’ergonomie. Je dispose ainsi d’un magnifique guidon, cornu comme le plus fier des phacochères, qui fait remonter nos souvenirs nostalgiques d’au moins une génération, et sur lequel on a curieusement implanté des molettes. Certes, elles permettraient efficacement de changer de vitesses et de plateau sur un VTT. Mais pour ce qui nous concerne, à l’opération en question, deux obstacles principaux : le plus grand plateau est réglé avec la limite extrême de ce qui eût du désigner le plus petit, ce qui me permet, grâce à une manipulation idoine de la chose, soit de rester sur le grand plateau, soit de dérailler ; d’autre part, les molettes en question ont été placées aussi loin des poignées qu’il était matériellement possible, presque juxtaposées au milieu du guidon – pour rapprocher l’une de l’autre deux molettes en mal de compagnie ? Que sais-je ? Une fois qu’on s’y est habitué, on s’en accomode très bien, d’ailleurs. D’autant mieux que le frein arrière est situé côté plateau (donc du côté inopérant), ce qui permet de répartir les opérations de freinage et changement de vitesses entre les deux mains dont le ciel nous a dotés – sans doute précisément à cet effet ! Et on est prêt, alors, à affronter les grincements et résistances inévitables dues à l’absence totale de matière grasse dans les mécanismes, que supplée avec enthousiasme l’abondance de poussière et de rouille. La précarité mécanique est un état de vie, ici. Le réparateur de vélo se distingue d’un homme lambda parce qu’il possède une clef adaptée au relevage de selle. C’est tout. Pour le reste, quand Pierre a mené sa dynamo à réparer, il a compris que mieux valait s’en passer. En somme, j’ai choisi de me passer de réparation, et de préserver la liberté de mon vélo : à chaque trajet, à peu près, il sème une de ses pièces, le plus souvent non nécessaire à son fonctionnement – fragment de la dynamo qui de toute façon ne fonctionnait pas, verre de la lampe avant ou arrière, qui conséquemment n’éclairaient pas… mais pas encore l’ancien antivol, dûment inutilisable, qui à ce jour orne encore ma selle. Tout espoir est permis, et j’attends qu’il se détache de lui-même. J’espère seulement qu’il le fera avant la roue avant, ou la selle.

Malgré toutes ces difficultés, on arrive enfin – chaque jour jusqu’ici, j’y suis arrivée sans casse majeure – au collège. C’est à dire qu’on arrive au lycée, dont l’une des entrées est un portail donnant sur la route, juste en face de l’embranchement où aboutit ma piste. En traversant le lycée de Kpodzi, j’atteins le collège – c’est loin d’être la seule voie : beaucoup d’autres arrivent par la savane dont les établissements sont entourés. Disons qu’entre, plutôt autour des routes, il y a une grande savane, qu’au milieu de celle-ci, deux groupes de bâtiments sont implantés : le collège, pas trop loin d’une piste, et le lycée, presque au bord de la route goudronnée ; plus on approche de la toute goudronnée, plus les installations civilisent leur environnement, jusqu’à quelques pelouses dans l’entrée du lycée, et jusqu’au mur, surtout, qui borde le lycée côté route (exclusivement), orné d’un grand portail grillagé blanc. Beaucoup de lycéens, bien sûr, s’engagent plutôt sur les chemins qui s’éloignent de la route goudronnée, souvent vers le collège, et quittent les lieux par une des innombrables pistes que je ne prétends pas toutes connaître – j’en ai encore découvert deux en cherchant l’école primaire où je devais prendre des cours d’éwé. Est-il besoin de le préciser : enfermer les élèves n’a pas de sens ! Quant aux bâtiments… ils sont de pierre, parfois malencontreusement toiturés en tôle, comme une large majorité des constructions, ici, où l’on souffre beaucoup d’une chaleur assez prévisible sous de tels matériaux. Les salles quatre ou cinq par bâtiment, y sont petites, c’est à dire qu’elles sont comparables aux classes de chez nous, mais qu’on y entasse deux à quatre fois plus d’élèves. Chaque classe donne sur la « cour » extérieure – l’espace de savane coupée rase, jalonnée d’arbres entretenus et de quelques bacs en pierre qui s’étend dans la zone des constructions – et les fenêtres sont des ouvertures carrées et très nombreuses, pratiquées dans les murs – un peu à la manière de celles qu’on aurait rempli par des dalles de verre si l’on eût été Auguste Perret ou Le Corbusier. Ici, pas de verre : qui voudrait arrêter les quelques souffles de brise ? Jamais d’étages, mais parfois un toit plat (pour le bâtiment le plus récent du collège, entièrement en pierre, mieux conçu que les autres et réalisé par un chantier de volontaire il y a quelques années), qui permet aux élèves d’étendre leurs tenues de sport après l’exercice. Dans les autres prétendus édifices, les classes sont (ou ne sont pas toujours) séparées par des cloisons de bois devenues mobiles au fil du temps. Du reste, on construit en ce moment une bibliothèque à Zomayi, et Pierre pourra vous donner des nouvelles des processus choisis pour la construction.

Ce que j’aime beaucoup, dans l’école, c’est cette perméabilité entre intérieur et extérieur, le vieux tronc d’arbre abattu entre les classes et la bibliothèque, les innombrables gros lézards – petits dragons ? – aux décorations d’autant plus oranges qu’ils sont gros… est-ce un effet de croissance ? Différentes espèces ? Je reste assez peu dans ces parages, car nombreuses sont les heures où les élèves y sont maîtres, et l’on se lasse de comprendre assez de mots d’éwé pour savoir qu’ils parlent de soi. Quelquefois, je leur ai répondu en éwé, ce qui a toujours provoqué grands cris et effets immenses. Pour les jours où les élèves occupent le terrain, et où l’on veut le calme, il y a l’apatame : un grand kiosque circulaire ouvert à tous les vents – disons, si vous voulez, celui du Luxembourg, en terre, bois et tôle, dans la savane, et qui constitue la seconde salle des profs. Elle est souvent plus animée et moins studieuse – si l’on peut appeler studieuse l’autre salle – mais on y est en plein air, et je la préfère de beaucoup. De plus, on peut y observer les élèves, les femmes qui viennent vendre des nourritures diverses, installées dans la cantine de plein air ou ambulantes, les vélos regroupés sous quelques arbres au centre de la cour, tous les passants enfin qui traversent les lieux incidemment, entre une piste et une autre.

Les élèves ont entre dix et vingt ans au collège, disons entre dix et quinze ans dans une classe de sixième. Tous en uniforme : chemise et pantalon beige pour les garçons – jusqu’à l’école primaire, ce sont des culottes courtes, imaginez le prestige des pantalons ; jupe beige et chemise blanche pour les filles, qui doivent de plus porter les cheveux ras. Je vous laisse imaginer une classe : une centaine d’élèves, tous noirs, tous cheveux ras, en uniformes… oubliez vos classes de trente petites têtes en France, dont quelques visages noirs (verts, bleus, différents), des couleurs de cheveux variables, des vêtements, des coiffures, enfin ! Je ne connais pas encore tous mes élèves par leur nom. Du reste, le visage suffit : peu d’enseignants les appellent par leur nom. En somme, je ne les interpelle pas, du reste : mes collègues les envoient chercher un déjeuner (celui de 10 h) auprès des marchandes installées un peu plus loin, fameuse « cantine en plein air » – je ne mange que des oranges dans la matinée, et je préfère aller les acheter moi-même. D’abord, je ne me suis pas faite à cette vie de maître qu’on mène ici dès qu’on dispose de subordonnés, quelle que soit leur qualité, quel leur statut ; ensuite, les marchandes m’amusent, et c’est en allant les voir que je découvre tout ce qu’elles vendent ; enfin, j’aime bien ma marchande d’oranges, ne serait-ce que parce qu’elle ne rit pas en me voyant, ne m’appelle pas yovo, et n’a jamais essayé de me tricher pour quelques centaines de francs (comprenez « centimes d’euros »).

Sans doute la suite une autre fois…

Je vous laisse là pour aujourd’hui ! (Demain ? Après-demain ? Divinités acariatres du cybercafé !)

Elise

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