* Misérabilisme

Posted on mai 4th, 2009 by Pierre. Filed under Non classé.


Le misérabilisme, on voit tous à peu près ce que c’est. « Oh comme [telle personne ou tel groupe] est pauvre, comme il est malheureux ! Il faut lui envoyer une couverture, trois grains de riz et un ours en peluche, pauvre petite chose. » Ce n’est pas génial.

Mais ce qui est terrible, c’est que le misérabilisme se transfère, et crée une relation inégale dans les deux sens. Une personne ou un groupe sujet d’un misérabilisme ambiant persistant finit par se croire profondément miséreux.

Ici, au Togo, nous ne comptons plus les discours sur le thème « regardez comme nous sommes pauvres et malheureux. » Ces discours proviennent d’ailleurs plutôt des classes aisées de la population, celles qui ont une éducation et un salaire décent. Et les exemples choisis ne sont pas toujours pertinents : Elise se souvient encore d’un professeur, sortant du lot par ailleurs, qui essayait de lui arracher des larmes en racontant l’histoire de cet élève puni d’un zéro car il était arrivé très en retard à une composition de dictée : l’élève était retourné chez lui entre deux épreuves chercher son goûter, car on n’avait pas pu lui donner d’argent le matin pour s’en acheter un sur place. Voyez la misère !

Alors qu’en fait, nous avons été surpris de constater qu’au Togo, les gens sont souvent pauvre, certes — mais rarement miséreux. Je pense qu’un professeur ou un petit fonctionnaire, ici, a plus ou moins le même niveau de vie (rapporté aux conditions du pays) qu’un enseignant français. Alors bien sûr, les biens importés sont plus cher, il n’y a pas de protection sociale, moins de consommation. Mais personne ne meurt de faim, on a de quoi vivre… Bref, rien à voir avec l’extrême misère à laquelle on s’attendait presque en débarquant au Togo.

Une des conséquences les plus visibles de ce misérabilisme, c’est le syndrome « il faut donner l’argent. » Puisque l’on est très miséreux, puisqu’ils sont très riche, hé bien l’argent doit venir du pays des blancs, et pas d’ailleurs. Le don est à sens unique. C’est terrible, on constate ça tout le temps — et à tous les niveaux de la société.

Au niveau le plus simple, ce sont tous les enfants qui courent derrière vous en criant « yovo, yovo, donne moi l’argent ! ». Bon, ce sont des enfants. Le problème, c’est que beaucoup d’adultes, que nous croisons simplement dans la rue, ne nous disent pas autre chose : « il faut donner l’argent. » Parfois, on assiste à d’amusantes ébauches de second degré de la part des togolais, comme ce dialogue que j’ai eu avec un apprenti-chauffeur de taxi brousse.

À un niveau supérieur, ce sont ces professeurs qui tentent de démontrer l’extrême misère du pays. Les associations locales qui demandent beaucoup d’argent aux volontaires occidentaux, alors que ces derniers donnent déjà plusieurs mois de leur vie pour filer un coup de main bénévolement. Les vendeurs qui, parfois, cherchent à arnaquer sans scrupule le blanc, touriste ou volontaire, et l’engueulent quand il refuse un article à cinq fois son prix. Les familles des émigrés en Europe, qui se plaignent que leur fils/frère/cousin ne rentre pas souvent les voir : « En France, il a forcément l’argent. » Derrière tout cela, c’est la même idée : nous n’avons pas d’argent à un degré extrême, ils en ont à un degré extrême. Il faut donner l’argent.

Plus surprenant encore, nous avons retrouvé cette logique dans les pages de Jeune Afrique. Dans un grand article sur les conséquences de la crise en Afrique, après avoir passé en revue les difficultés de l’économie dans quelques pays, ils parlaient des solutions à y apporter. En une phrase, toute possibilité d’aide et de solutions venant de l’Afrique elle-même est écartée. L’Afrique ne peut rien faire, point. Il faut donc, poursuit Jeune Afrique, cette fois sur trois colonnes, une aide internationale d’urgence. On vient de doubler les fonds du FMI pour l’Afrique ? C’est insuffisant, il nous faudrait beaucoup plus ! Ah, vous n’allez pas encore laisser l’Afrique dans le marasme, hein ? D’ailleurs chez vous, on l’a bien vu, les milliards coulent à flot. Il faut donner l’argent.

Qu’un journal (plutôt) sérieux comme Jeune Afrique ne se rende pas compte que les milliards du Nord sont bel et bien des emprunts, un endettement colossal qui va méchamment grever l’économie pendant des dizaines d’années et handicaper les générations futures, c’est un peu inquiétant. Je pense qu’ils sont victime, à leur niveau, du syndrome « Chez les blancs, l’argent tombe du ciel. »

Il faut dire tout de même que certaines personnes se rendent comptent de ce travers : plusieurs fois, nous avons entendu des togolais lancer à la cantonade : « Ah, l’homme africain ne sait que demander ! » C’est dit, j’imagine, comme je pourraient parfois penser de moi-même et de mes compatriotes : « C’est vrai que les français sont râleurs… » Bref, il y a des gens qui ont conscience de ce déséquilibre.

Pour briser cette logique de don unilatéral, je pense qu’il est urgent d’encourager les dons Sud-Sud. Faire comprendre qu’ils peuvent donner aussi, à leur niveau. Que ce ne soit plus seulement les Occidentaux qui donnent pour les togolais, mais aussi les togolais qui donnent pour le Zimbabwe, par exemple.

Hier, grand encouragement : nous avons reçu le journal interne d’Aide et Action, une ONG de parrainage présente dans de nombreux pays (et qui a l’air vachement bien). Entre autres expériences, ce journal citait le cas d’un enfant africain parrainé par une sénégalaise. Hourra ! les choses fonctionnent dans les deux sens, le Sud s’occupe de lui-même : ça nous a fait chaud au cœur.

Cela dit, il y a aussi des choses à faire de notre côté. Cesser toute forme de misérabilisme, par exemple. Je pense que ça se passe autant dans notre tête que dans les projets que, depuis l’Europe, on décide de soutenir. Et surtout, plutôt que de prôner la charité pour l’Afrique, militons pour la justice et l’égalité. Justice des relations diplomatiques, justice du commerce international. Tout un programme.


Dans un taxi-brousse en cours de chargement. Pierre assis sur la banquette arrière avec d’autres passagers ; l’apprenti et le chauffeur qui chargent le coffre.

— Vous êtes français ? me dit l’apprenti.
— Oui.
— Moi j’aime bien les français, poursuit l’apprenti, mais…
— Oui, c’est vrai, nous on aime bien les français, lance un autre.
— Mais je n’aime pas Sarkozy, ajoute le chauffeur, soutenu par les autres :
— Oui, c’est vrai, on n’aime pas Sarkozy !
— Mais, poursuit le premier apprenti avec un sourire en coin, la seule chose que je n’aime pas avec les français, c’est qu’ils ne donnent pas souvent.
— Ah mais moi, dis-je voyant le truc venir, moi je suis volontaire ici, alors j’ai déjà donné sept mois de ma vie pour le Togo. C’est déjà pas mal, non ?
— Ah, oui, c’est bien…
Puis, après une pause :
— On va manger ?

Il faut savoir que « on va manger », ici, a plusieurs sens. Cela peut servir de simple formule de « bon appétit », mais, littéralement, c’est inviter l’autre à partager son repas (ce que les gens font très spontanément). Ou parfois, plus rarement, c’est s’inviter à partager le sien — ce qui était le cas ici.

Je réponds donc, avec le sourire, « Non, plus tard peut-être. » Et là, à ma grande surprise, pour une fois les autres le prennent à parti !

— Dis donc, et toi, tu donnes souvent ?
— C’est quand la dernière fois que tu as donné ?
— Arrête un peu de lui demander des choses !

La discussion s’est poursuivie en éwé, je n’ai pas tout saisi. Mais j’ai été plutôt surpris que les gens réagissent contre cette mentalité du don à sens unique, tellement fréquente ici…

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6 Responses to “Misérabilisme”

  1. Catimini Says:

    Moi qui n’ai qu’un cerveau de la taille d’un petit pois, et qui ne connais pas l’Afrique (dire qu’on aurait pu m’y manger…) , j’aime le discernement et la modération de cet article.
    MIAOU

    PS : je n’ai pas encore dîné. Ce n’est pas vrai, mais cela marche parfois auprès de certains locataires naïfs.
    MIAOU MIAOU

  2. Pierre Says:

    Les maîtres vont peut-être s’y laisser prendre… (ou pas).

    Accessoirement, en feuilletant hier un numéro de Jeune Afrique qui traînait à la bibliothèque municipale, j’y ai trouvé un entrefilet un peu sur le même sujet.

    « C’est semble-t-il une nouvelle mode dans les pays anglo-saxons, disait en substance l’article, que de critiquer le principe des aides internationales au développement. De plus en plus d’intellectuels originaires de pays africains critiquent le système des aides, et louent le modèle d’auto-financement du Ghana. Ils insistent sur la mentalité de « mendiant » que cela engendre dans certains pays d’Afrique. »

    Suivait quelques remarques dubitatives du journaliste sur cette conception des choses (remarques qui ne m’étonnent guère, au vu des opinions de Jeune Afrique sur les aides internationales – voir plus haut :) )

    Bref, il y a des gens en Afrique qui s’en rendent compte, et c’est chouette. Après l’équilibre de ces aides est tellement délicat à trouver ; et sans doute seuls les africains peuvent se permettre de dire de pareilles choses. Mais quand même, c’est bien…

  3. Catimini Says:

    Transmis à Pascal, qui a l’air d’acquiescer.
    Vivement la fête de ton retour : rrrrrron rrrrrron rrrrrron dans tes bras.
    Risotto prêt (ce qui m’est un peu égal ; maquereaux au vin blanc aussi, ce qui m’intéresse davantage (qui sait si je ne purrai pas en récupérer quelques miettes ?)
    Miaou

  4. Catimini Says:

    J’allais oublier : des edelweiss pointent le bout de leur nez. Quelle bonne surprise, et quelle attention délicate : Pascal enchanté. j’ai interdiction d’essayer de les manger.
    MIAOU

  5. Yam Says:

    C’est bien intéressant que Aide et Action publie des articles sur les échanges inter-africains. Je ne savais pas que Jeune Afrique a la tonalité que tu décris.

  6. Elise Says:

    Oh, les edelweiss, j’ai entendu dire que c’était un mauvais régime alimentaire pour les chats roux, de toute façon. Ca leur fait pousser des moustaches vertes. Pas très seyant. Mieux vaut ne pas essayer.

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