* Deux rencontres.

Posted on mars 26th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Un soir, avant tout de même la nuit tombée – mais ici, le soir commence tôt : à 12 h 05, on dit déjà « bonsoir », sans faute, sans sourire, sans l’ombre d’un second degré. Sur un von de plus en plus semblable à une dune. On marche vers la mer. Une femme nous hèle, depuis l’école. Elle nous a vus passer la veille. Demande si nous avons une jolie écriture. Elle nous entraîne jusqu’à la classe – c’est que, voyez-vous, elle aurait besoin d’un calligraphe. Elle parle un peu français, un peu mina, y compris en s’adressant à nous, avec des alternances et des exclamations. Il s’agit d’écrire les jours de la semaine, aux feutres de couleur. Contente de mon écriture, affairée à trouver les bons feutres, et les connaissances se lient. Elle est surprise : alors nous enseignons, aussi, et à Kpalimé. Elle est impressionnée par tout, s’excuse de nous avoir hêlés, « car elle ne savait pas » (mais quoi donc ?), nous raconte sa classe, le programme, nous montre le cahier, les consignes pédagogiques, nous retient, décidément : pourquoi déjà partir ? Elle s’appelle Pétronille, je suis Elise, et voici Pierre. L’amitié est liée. Elle ne nous laissera pas repartir sans une friandise. Pas de bonbons au lait ? Alors ce seront des petites boulettes d’arachide. Dans un cornet de papier, préparé devant nous.

En sortant, devant la porte, nous croisons une autre femme – collègue ? Elle lui raconte, en mina, toujours, mais le mina est une langue très proche du français… tendez l’oreille… jours de la semaine… français… universitaires… elle lui raconte que nous travaillons à Kpalimé, et que je lui ai répondu en éwé – grande fierté d’Elise. Tout le monde se salue, grands voeux pour chacun. En nous laissant partir, elle nous dit qu’il faudra leur envoyer des livres, de France. Nous répondons pour la forme que les livres, on en trouve aussi à quelques kilomètres, à Lomé. Mais ils n’ont pas d’argent, vous savez, et quand nous serons rentrés en France, nos parents, nos amis, enfin…

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Un autre soir, un peu plus tôt : lors de notre arrivée à Agbodrafo. Au sortir du véhicule qui nous menait depuis Lomé, nous ouvrons le Petit Futé, décidons de nous rendre à ladite « Résidence Otlas », jetons un oeil autour de nous. Un homme nous hèle, et nous demande si nous cherchons quelque chose, nous nous apprêtons à répondre -

Deux jeunes gens arrivent, l’écartent, prennent sa place. Ils connaissent la résidence Otlas, veulent nous emmener. Ils ont l’agressivité du commerçant qui cherche sa proie, et je les prends d’abord pour des zemidjamen. Mais non, ils veulent seulement nous montrer le chemin, à pied. Ils s’insinuent, voudraient parler à notre place à celle qui tient la résidence, et viennent voir les chambres avec nous. Dans l’escalier, j’entends les propositions fuser : ils peuvent nous guider, nous montrer le village, et puis « si vous avez besoin d’un esclave ». Haussements de sourcils, et réponse un peu amusée de Pierre : non, nous n’avons certes pas besoin d’un esclave. Nous parvenons assez promptement à leur faire comprendre que nous voudrions du repos. Mais nos sens exercés ont largement flairé l’énergumène collant et parasite de yovo. Pardon, le jeune homme serviable qui s’attend, en échange de sa sympathie, à recevoir une certaine rétribution.

Nous les croisons à chaque sortie. Je ne crois pas qu’ils nous guettent positivement, mais il est probable qu’ils n’aient pas d’autre occupation. Le lendemain matin, quand nous partons pour Aného, ils nous attrapent au passage, sur la grand route où s’arrêtent les voitures, et cherchent à prendre de la place. Sous le mauvais couvert d’interprétariat, ils voudraient accompagner Pierre l’étourdi, qui doit aller à la pharmacie chercher une boîte de doxycycline. Je dois les retenir, mais ne parviens pas à éviter qu’ils hêlent toutes les voitures qui passent. Discrètement, un peu gêné, l’un demande à Pierre si nous avons petit déjeuné. Il marmonne, il faut donner l’argent pour leur petit déjeuner.

Au bout de quelques jours, je crois qu’ils ont fini par se rendre à l’évidence : nous ne sommes pas de bonnes bêtes. Ils nous saluent maintenant avec un peu d’espoir, mais ne s’accrochent plus.

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Deux soirs, deux rencontres.

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Et en quoi l’habitude de recevoir, différemment, s’insinue en chacun. Dans ceux qui ne cherchent que le profit, et dans les âmes sympathiques. Le yovo, il donne. Il vous paye pour l’embêter, pourquoi pas ? Il envoie de l’argent pour les livres, pourquoi pas ? Un livre, pour le togolais moyen, c’est cher : parfois le prix européen, parfois moitié moins, mais en monnaie locale, ce n’est pas rien. Dans les familles, on n’achète pas de livres pour les adultes, moins encore pour les enfants. Cela dit, sur le budget d’une école, alors là, c’est un poste de dépense qui pourrait exister. Il est plus facile, plus naturel aussi, de demander à l’étranger. Naturel, surtout : pourquoi ne pas demander ? On ne sait pas ce qui pourrait en ressortir ! Ce matin encore, à Togoville, on nous parlait de ce prêtre qui, en rentrant chez lui, avait envoyé un million de francs CFA (1 500 euros) pour l’entretien du village.

C’est aussi en quoi la justice des rapports internationaux n’est pas, et ne sera jamais compensée par la charité. Pas seulement par goût pour la vérité. Pas seulement pour des questions d’efficacité largement imparfaite. Mais aussi pour les vies et les sens humains qui en sont modelés.

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