* Christianisme africain.

Posted on mars 30th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Le visage du christianisme africain est un peu différent de ce que nous avons coutume de désigner sous ce nom. C’est pareil, et ça n’a rien à voir. Je crois que ce n’est pas toujours à la satisfaction du clergé, d’ailleurs.

Tout le monde croit. Tout le monde va à l’église, tous les dimanche. Surtout quand il y a une belle robe à montrer. Vous riez ? Les femmes les plus pieuses, qui écoutent radio Maria à longueur de journée, celles de notre famille, par exemple, n’iront pas à l’église deux fois en un trimestre dans la même tenue, et se rendront à trois messes en revanche si cela peut leur permettre d’exposer leurs nouvelles acquisitions. Et puis, l’église, vous diront les mauvaises langues, ou les chrétiens naïfs, c’est bien : on chante, on danse, c’est comme une sorte de fête, et c’est bon pour Dieu. A la messe, ici, si on comprend l’éwé, on s’amuse, on bouge. Il y a plusieurs quêtes, les gens s’y rendent en dansant dans les allées, frappent dans leurs mains. On organise des quêtes selon le jour de naissance des ouailles, et on annonce les résultats la semaine suivante : les natifs du mardi ont largement dépassé les autres cette semaine ! Il faut faire jouer l’émulation, et puis, on s’amuse. C’est comme ça qu’on apprend le mieux. Car ici, on a la croyance et le dogme ferme : miracles, moyens de fléchir le Dieu – il faut bien s’informer, pour savoir se glisser dans ses bonnes grâces ! Surtout qu’il est puissant. Essentiellement, on l’aime, Dieu. On le déclare partout, y compris sur de petits coeurs en papier épinglés au vêtement d’une écolière.

Mais le christianisme, c’est aussi autre chose, n’est-ce pas ? Il y a des valeurs. Celles de l’Eglise actuelle, et celles des évangiles. Croyez-vous que toutes ces filles qui se précipitent à l’office aient plus de vertu que les jeunes européennes ? Qu’elles mentent moins, qu’elles sont plus pudiques ou plus généreuses ? Vous les étonneriez. Elles ne voient pas le rapport avec un Dieu plus simple que le vôtre, qu’il faut honorer en chantant, et bien respecter pour ne pas le fâcher. Tout le monde est pratiquant, tout le monde a la croyance si ferme qu’il n’imagine pas autre chose, mais, pour ce qui est des moeurs…

Vous connaissez René Girard ? Le bouc émissaire ? Ca vous dit quelque chose ? Au Togo, si chrétien, nulle trace de cette douceur qui baigne un peu nos sociétés, nos valeurs, nos protections du plus faible. Nulle condamnation de la violence. Nulle promotion de l’attention à l’autre, de la tolérance ou de la patience. La charité, en tant qu’elle a pour but d’aider l’autre, oubliez ça. Et ces histoires, ne pas jugez les gens sur leur apparence – je pense qu’ils n’en ont juste pas idée. Une telle candeur, sans cela, ne serait pas possible. On juge le respect qu’on doit à quelqu’un d’après sa richesse matérielle, qui elle-même s’exprime dans l’apparence – c’est un fait, c’est normal, et ça n’a pas à s’inscrire dans des questions de bien ou de mal, encore moins de religion. Tout au plus, diront les vieux et sages, l’apparence peut être occasionnellement trompeuse, car il est facile d’emprunter des vêtements pour un jour, ou parce que même un prince a pu être dépouillé par des brigands sur la route. Quant à la bonne action discrète, faite par amour du bien, la main droite faisant des cachotteries à la gauche, ça n’est pas un best-seller du coin – on préfère le psaume 23 (très honorable, du reste, mais un peu surexploité dans le pays). Enfin, l’abstinence, puisqu’on en parle tant en ce moment, sachez qu’ici, on s’embarasse beaucoup moins de principes sur ses implications éthiques : les plus éclairés, les plus méditatifs peut-être, l’élite de la religion parle de respect (celui de Dieu, plutôt que de l’autre), de péché – mais ce n’est pas implanté bien profondément. Et puis, c’est mis sur le même plan que l’alcool et la drogue. Mais surtout, l’abstinence, pour la grande majorité du peuple pourtant si pratiquant, c’est un moyen d’éviter le SIDA, moyen dont on sait que les Eglises le privilégie, mais qui est mis sur le même plan que les autres – on voit partout de grandes affiches vantant les mérites de l’abstinence, dont la fameuse : « Je suis trop jeune pour le sexe ; c’est ma vie », Pierre a reçu de PSI (Prévention Sida Truc-muche) un magnifique T-shirt qui nous amuse beaucoup : « Fidélité ou préservatif, il faut choisir. »… ou alors, c’est une question d’héritier dont on doit être sûr de connaître le père. Conséquemment, après le mariage, la chasteté vaut surtout pour les femmes, et avant le mariage, surtout pour personne. Enfin, je dis mariage, mais ici, les couples les plus catholiques qui soient se marient souvent plusieurs années après la naissance de leur premier enfant. Ils sont au courant que Dieu a un problème avec ça. Alors, ils ne communient pas jusqu’à leur mariage. Ca doit bien suffir à ne pas le fâcher, non ? Après tout, il ne faut pas exagérer. Plus sérieusement, avec 95 % de filles à la messe toutes les semaines, et 20 % tombant enceintes avant la fin de leurs études secondaires, on peut dire que les chrétiennes d’ici ont un peu moins reçu le message qu’ailleurs.

Et n’allez pas leur dire qu’ils sont de mauvais chrétiens. Je vous le répète, ils aiment Dieu, ils le crient, ils le disent, ils en font des affiches, des badges, des enseignes et des chansons. Seulement, pour eux, le christianisme ne veut pas dire tout à fait la même chose. Moi, ça me fait drôle, quand même. Il faut croire que dans sa précipitation à s’installer ici, il n’a pas pu emporter tous ses bagages. Il paraît que l’islam, qui s’est implanté sans missions, par conversions lentes, progressives, par l’exemple et l’enseignement des hommes et confréries, a plus profondément modelé la morale des peuples. Je n’ai pas assez vécu au milieu d’eux pour le savoir vraiment.

A Dzobegan, en décembre dernier, nous avons rencontré des moines. Et dans la ville de Kpalimé, il y a des soeurs, que je croise surtout à la librairie Saint Augustin. Pour eux, c’est différent. Ils ont cette attention à l’autre, ce caractère réfléchi, cette attitude si… morale, louable, et si de chez nous, aussi. Quand je leur parle, je crois m’adresser à leurs homologues français. Et il faut se rendre à une certaine évidence : la vie bénédictine ne forge pas les âmes différemment selon la latitude. Mais quant aux ouailles, à tout le monde, je ne crois pas qu’ils soient près d’imiter ces changements. D’ailleurs, je peux (un peu) les comprendre : pourquoi seraient-ils pressés de devenir comme nous, et de respecter des lois qui n’ont jamais été les leurs ? Un Dieu, ici, ça ne sert pas à vous demander de choyer vos congénères. Dure idée, que vous priver de la violente absence d’égards dont vous avez toujours fait preuve. Ils n’ont pas choisi ça, ou pas en connaissance de cause ; ils n’y sont pas tenus. Bon, parfois, je me dis, maintenant qu’ils ont renoncé, ou perdu une bonne partie de leur culture, peut-être que dans celle des autres, ils pourraient prendre le meilleur, plutôt que la médiocre mousse de nos eaux boueuses : avidité du gain facile et méshonnête, « time is money », dogmatisme, Vierge Marie dans des petites barques kitschounes… mais de quelle réserve tireraient-ils cette force singulière, et une telle clairvoyance ? Et puis, je sais bien : de quel droit je dis ça ?

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