* Mère et enfants.

Posted on février 25th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Un jour passé – il y a bien longtemps, car la rédaction de ces lignes paresse depuis plusieurs semaines sur mon ordinateur – au bord de la piscine du Geyser, une femme à l’air anglais, peau laiteuse et cheveux noirs, jouait avec ses deux enfants. Deux enfants métisses, très clairs, étonnament clairs même par rapport au noir affirmé de leur papa. Toujours est-il qu’elle s’occupait d’eux, les faisait barboter, jouait tour à tour à faire tomber l’un ou l’autre. J’essayais de ne pas les observer de manière gênante depuis le coin du petit bain ou je tentais de fraîchir tranquillement et de profiter de l’humidité – c’était pendant l’harmattan. J’ai fini par m’apercevoir de ce qui m’étonnait : depuis plusieurs mois, je n’avais pas vu une mère s’occuper de ses enfants comme on le fait en Europe. Car ici, ce type de jeux est tout à fait inconcevable. On ne cherche jamais à partager le jeu d’un enfant, que ce soit pour lui faire plaisir, pour se faire plaisir, ou pour favoriser son éveil.

Bien entendu, ce n’est pas qu’on ne s’occupe pas des enfants. Les tout petits sont très proches de leur maman, physiquement, par un long portage sur le dos, presque permanent jusqu’à ce qu’ils sachent marcher, et un allaitement quasiment aussi long. Après ces étapes, les enfants prennent très vite beaucoup d’indépendance dans leurs occupations quotidienne. Et puis, leurs mamans et leurs papas se multiplient autant qu’il faut pour englober les adultes de leur environnement immédiat. Caca (5 ans) et Daniel (3 ans) déambulent dans toute la maison, la concession, et autour, jusqu’à la route, sans surveillance aucune, et l’on ne se préoccupe de savoir ni où ils sont, ni ce qu’ils font, à moins d’avoir quelque chose à leur demander. La plupart du temps, ils font des bêtises, ou ce que nous considérerions comme tel : machonner un bout de charbon trouver à terre, découper un morceau de polystyrène et en répandre les fragments sur la table ; ou simplement, ils jouent, avec les animaux, d’autres enfants… En revanche, la famille semble considérer qu’une vie commune permanente est nécessaire à leur bien-être : Clémentine nous a expliqué que Caca et Daniel étaient ici parce que leurs parents, à Lomé, travaillaient trop pour s’en occuper suffisamment – or, leur père est prof de maths, et leur maman institutrice en maternelle. Il est considéré comme plutôt mauvais de les confier à une « bonne » une à deux heures par jour, pour les accompagner à l’école ou les accueillir à déjeuner : Clémentine dit que les « bonnes » s’occupent mal des enfants. Pourtant, selon nos critères, personne ne s’occupe vraiment des enfants, ici.

Seulement, cette fréquentation permanente des adultes et de leurs occupations est considérée comme un enseignement. Les enfants regardent, et très tôt, ils participent aux tâches ménagères. C’est à dire qu’on ne leur explique rien – d’ailleurs, c’est une des difficultés qu’on rencontre en tant qu’étranger ignorant : obtenir quelque explication que ce soit est très difficile ici, car les gens n’ont pas l’habitude de verbaliser les choses. L’apprentissage ici est très lent, très long, et commence au plus jeune âge ; les savoirs-faire rentrent petit à petit, par tâtonnement, et sans qu’on ait à dire les choses. Ainsi, Caca est toujours mise à contribution pour aller chercher un objet, et doit répondre immédiatement quand on l’appelle, puis courir chercher les choses et les apporter, avant de continuer ce qu’elle faisait. Où qu’elle soit, quoi qu’elle fasse. Elle fait également la vaisselle – mal, en frottant dix minutes une marmitte propre avant de la reposer dans la boue, voire parfois d’uriner à dix centimètres, à notre immense mais solitaire regret… mais personne ne lui dit rien (sauf moi, parfois, dans un élan scandalisé) : on attend seulement qu’elle apprenne petit à petit, par l’habitude et l’imitation. De fait, l’absence de craintes pour la sécurité des enfants permet un apprentissage spontané et dégourdi, justement au moment où l’enfant a envie d’imiter les adultes – pas de ces querelles qui émaillent chez nous les foyers, parce qu’on a interdit aux enfants d’aider à la cuisine ou de passer l’aspirateur avant dix ou douze ans, et qu’ensuite, quand ils se sont installés dans d’autres habitudes et d’autres intérêts, on veut les impliquer dans les charges ménagères de la maison. Quant aux accidents auxquels vous songez sûrement… on ne les prévient pas. Caca et Daniel jouent avec le feu, les braises, les charbons, se brûlent parfois. Mais personne ne songerait à y voir mal : si un malheur devait arriver, il dépendrait de Dieu et de sa volonté, à laquelle les hommes de toute façon ne peuvent pas s’opposer. S’ils avaient idée de la prévention qui existent chez nous, ils la trouveraient sans doute vaine et risible. Alors il y a plus d’accidents, plus de cicatrices, parfois des choses plus graves… c’est comme ça.

Les gens ou les livres qui évoquent les initiations et l’enseignement traditionnel semblent dire qu’ils étaient la place du genre d’explicitations qui ne se fait plus, en rapport avec la vie quotidienne. Je ne sais pas dans quelle mesure. Du reste, ils n’existent plus vraiment, ou presque plus, quoique Siel [insert link] nous ait parlé des initiations qui ont encore lieu chez lui, c’est à dire chez les mobas. Ici, dans la ville de Kpalimé, il y a seulement l’enseignement scolaire, qui n’a plus rien à voir avec tout ça.

D’ailleurs, on surveille beaucoup moins les enfants que chez nous. On leur porte moins d’attention, tout court. Quand les enfants jouent autour du foyer, Clémentine ne s’intéresse pas à eux, à leur jeux : ce sont des vétilles sans importance. Je suis la seule à remarquer qu’ils font ceci ou cela, et Clémentine trouve que je perds mon temps si je m’occupe activement d’eux. Ca n’a simplement pas d’intérêt, car l’apprentissage des enfants consiste à regarder les adultes, et non à être regardés et/ou guidés par eux. Pour ce qui est de ses désirs, de ses penchants, ils sont ignorés. Daniel est avide de musique, vient m’écouter jouer du violon, ou nous demande de la musique – il sait que les ordinateurs peuvent faire ça. Mais peu importe pour les autres adultes : personne ne songerait à lui fournir quoi que ce soit en rapport avec ce penchant, ni même à le laisser écouter un concert à la télévision – les séries B, c’est bien mieux. Quant aux jeux et processus de développement ou d’éveil qui occupent tant de place chez nous, ils n’existent pas. En voyant Caca et Daniel incapables de catalyser leur agressivité et leur rivalité, on retrouve l’importance des jeux de sociétés pour apprendre à vivre ensemble et à s’affronter de manière symbolique, en respectant des règles. Cela dit, ici, les règles de l’affrontement et de la sociabilités sont différentes : de fait, la relation type est celle de commandant-commandé, alors il y a peu de raison de se donner beaucoup de peine pour leur apprendre plutôt le partage ou ce genre de choses.

Dans l’ensemble, j’ai l’impression qu’intellectuellement et affectivement, les enfants se comportent très tôt comme de petits adultes. Quand un jour, par hasard, l’un d’entre eux est habillé à l’occidentale, ou a une attitude qui rappelle quel est son âge, je me surprend toujours à me dire qu’en effet, il n’est pas plus âgé. Le reste du temps, un enfant de trois ans se promène seul et où il veut, vaque tranquillement à ses occupations. Sa soeur de cinq ans sert les adultes à table, leur apporte un tabouret, un torchon, habille parfois son frère, etc. Mais avant de les envier, il faut se rappeler que s’ils prennent moins de détours pour grandir, c’est aussi moins de temps pour se former comme individu en réfléchissant et en comprenant les choses. Et de fait, c’est un développement différent du nôtre, qui forme des jeunes et des vieux adultes différents de nous – pas les mêmes intérêts, pas les mêmes valeurs, pas la même façon d’exister, ni, moins encore, les mêmes réflexions.

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