* La grande mosquée de Kpalimé.

Posted on février 27th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Un mardi après-midi, en remplacement de notre cours d’arabe, Mortimer, Pierre et moi avons décidé de visiter enfin la grande mosquée de Kpalimé. Elle se trouve au Sud de la ville, dans le grand quartier musulman : le seul, à vrai dire, où nous n’avions jamais mis les pieds. Nous habitons à Kpegolo (au Nord-Ouest), et je travaille à Kpodzi (Nord-Est) ; Pierre travaille à Zomayi (Ouest, sur la route du Ghana), et ASTOVOT se trouve au centre-ville, près de la cathédrale ; le marché est en bordure du centre, vers le Sud, du côté du petit quartier musulman, et les autres volontaires habitent un peu partout, parfois chez des évangélistes ou chez des témoins de Jéhova (!), mais jamais, jamais dans des familles musulmanes. Si vous imaginiez l’Afrique comme une terre de tolérance, où chrétiens et musulmans travaillaient ensemble sans discrimination, sachez que c’est souvent faux.

Un peu honteux de nous rendre compte que nous sommes tout de même bien influencés par ASTOVOT et ses relations, nous nous engageons enfin dans le grand quartier musulman. Les hangars qui servent partout de temples ou d’églises sont ici remplacés par de petites mosquées, exactement comme celles que nous avons vu plus au nord dans le pays. Un peu plus de djellabas peut-être, aussi, de femmes portant un voile – j’entends un voile, à proprement parler : une fine étoffe brillante et décorée, couvrant plus ou moins la tête. Mais en somme, on se croirait au marché un jour de semaine, ou chez ma couturière, dont je ne parviens pas à deviner la religion, mais dont les apprenties s’appellent Aïssata, Fatima, ou encore Mounira…

La grande mosquée, de la taille de la cathédrale, c’est à dire d’une grande église de chez nous, est entourée d’un enclos, dans lequel les théière en plastique coloré de motifs psychédéliques dispensent l’eau pour les ablutions, et les arbres leur ombre. Le bâtiment est rectangulaire, de la forme d’une… mosquée, peinte en rouge, vert et blanc, avec deux tours dont l’une sert de minaret au haut-parleur. Nous faisons le tour en saluant les hommes qui discutent sous les arbres, et quelques uns finissent par se lever pour savoir ce que nous cherchons.

A notre soulagement certain, ils ont l’air heureux de savoir que nous sommes venus jusque là pour voir leur mosquée, et nous proposent l’un d’eux comme guides, quand nous auront fini de faire le tour. Comme nous ne savons pas si nous pouvons nous permettre d’entrer, jusqu’où, et dans quelle tenue, nous en sommes bien contents – pour l’occasion, j’ai enfilé une longue jupe évasée comme en portent beaucoup de femmes musulmanes, mais j’ai les bras et la tête nue, et j’ai emporté un pagne pour le cas où on me demanderait de les couvrir. Mais apparemment, ma tenue ne dérange personne : on nous fait déchausser et entrer, et on nous mène dans la section des hommes, où une classe de l’école coranique (garçons et filles) est en prière, puis dans la section des femmes, et tout autour de la mosquée, en nous racontant qu’elle a une cinquantaine d’années, mais qu’on entretient le lieu avec soin ; je veux bien le croire : le décor est simple mais un peu coloré, et beau. Ils nous ont proposé de photographier, mais nous n’avions pas d’appareil. Notre guide improvisé nous montre aussi l’école de la mosquée, qui se trouve dans le même enclos, et où les enfants, du primaire au baccalauréat, apprennent l’arabe, toutes les matières scolaires enseignées en arabe, et le français – langue enseignée, mais non d’enseignement. Depuis peu, l’école est affiliée à l’Etat, mais elle a gardé sa tradition d’enseignement en arabe, et continue apparemment à faire payer beaucoup moins que l’enseignement public.

En discutant, nous apprenons tout de même que les élèves qui passent leur baccalauréat vont ensuite poursuivre leurs études en Arabie Saoudite, dans des universités islamiques, avant de rentrer au pays. A mes questions étonnées, on répond que c’est une question de langue : ils sont accoutumés à un enseignement en arabe, et non en français. Je ne suis pas sûre que ce soit la seule raison. Indéniablement, l’enseignement supérieur islamique est de meilleure qualité que l’université togolaise, et je comprends qu’on préfère étudier la physique, la littérature ou la gestion à Riyad qu’à Lomé. Cela dit, il est clair aussi que les élèves absorbent au cours de leur scolarité une certaine quantité de théologie, que ces études ne doivent pas cesser s’ils partent au Moyen-Orient, et que je me souviens encore du commerçant chez qui j’achetais du savon, une ou deux semaines après mon arrivée, et qui, en voyant mon T-shirt « Science, it works », a commencé à m’expliquer sans le moindre mystère qu’il était membre d’Al-Qaïda… D’autre part, nous n’avons pas demandé qui finançait les dépenses de l’école, de la mosquée, et le château d’eau de la mosquée, construit pour « tous, musulmans, non musulmans, qui viennent se servir ». Cela dit, quand bien même ce serait, l’Eglise catholique européenne (je ne sais pas comment ni qui exactement) finance largement la cathédrale et les services qui en dépendent. On ne sait que penser. Pour ce que nous voyons, les musulmans du marché, ou de la grande mosquée, n’ont rien de fanatique. Les femmes portent le voile par coutume et sans en exagérer la contrainte : il n’est pas attaché, glisse parfois, et d’ailleurs, certaines ne le portent pas tous les jours, en tout cas à l’atelier de couture que je fréquente. Nous avons été accueillis par ceux de la mosquée comme des hôtes étrangers, sans discrimination d’origine ou de religion, et sans le moindre jugement négatif sur ma tenue vestimentaire. Et je ne les crois pas prosélytes, contrairement aux évangélistes de tradition anglo-saxone qui organisent de grands meetings pour persuader les foules.

Je n’ai jamais assisté à un incident entre chrétiens et musulmans. Pierre dit avoir constaté des moqueries plutôt sans conséquences quand un élève est passé annoncer dans ses classes la réunion d’un groupe de truc coranique pour les élèves musulmans qui le voulaient. En revanche, dans les familles qui hébergent des volontaires ASTOVOT, nous avons remarqué une certaine hostilité. La famille-hôte de Mortimer, témoins de Jéhova, pense du mal des musulmans, et sa mère hôte en particulier ne se prive pas de le dire. Il n’ose pas laver chez eux la djellaba, souvenir d’Egypte qu’il a emportée dans ses bagages au Togo, et porté un peu lors de son voyage dans le Nord. Dans notre famille, Clémentine laisse paraître une certaine hostilité : « les musulmans, ils ont envahi tout le marché, maintenant » ; une fois, devant le journal télévisé : « ah, les arabes, je ne les aime pas, moi ». Martin Luther, en revanche, qui a travaillé dans des régions musulmanes du Togo, est beaucoup plus mesuré dans ses paroles. Il dit que les Kotokolis, qui sont musulmans, sont beaucoup moins instruits en français, et que cela les isole. Mais je ne l’ai jamais entendu proférer de parole menaçante ou insultante envers les musulmans.

En somme, tout cela est assez étrange pour nous, et met en jeu des questions qui n’ont rien à voir avec nos héritages historiques : les musulmans sont souvent convertis depuis des siècles, et pratiquaient l’arabe avant l’arrivée de toute autre langue écrite en Afrique de l’Ouest. Ils sont plutôt fiers de cette tradition de culture, et d’avoir laissé de côté les superstitions, amulettes, etc. Les chrétiens, en revanche, appartiennent à des franges de la population qui sont restées beaucoup plus longtemps dans la religion traditionnelle, et ont été converties par les missions des colonisateurs, entre le milieu du XIXe et celui du XXe siècle. Je crois qu’ils pratiquent encore en plus grand nombre les gri-gris et les maraboutages divers. Et j’ai souvent l’impression que leur christianisme est plus éloigné du nôtre que l’islam africain ne l’est de ses racines maghrébines.

Si nous trouvons ou prenons une photo de la grande mosquée, en tout cas, nous la posterons.

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2 Responses to “La grande mosquée de Kpalimé.”

  1. murmi Says:

    Au quotidien, quelle langue parlent les Musulmans? Maîtrisent-ils mieux l’arabe que les Chrétiens le français?

  2. Elise Says:

    Je crois qu’ils parlent mieux/plus les langues vernaculaires, moins le français, et un peu d’arabe.

    Mais c’est variable. Dans le coin des couturiers, on écoute la radio musulmane le plus souvent en français. Et les couturiers (adultes) ont des livres de débutants pour apprendre l’arabe… alors que pour d’autres, l’arabe est une langue courante, et le français presque inexistant (« oui », « non », « merci », et c’est à peu pr_s tout).

    Tout cela à prendre avec grande circonspection : nous évoluons peu en milieu musulman.

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