* Afrique et misère… ?
Posted on décembre 22nd, 2008 by Elise. Filed under Non classé.
En réponse à de nombreuses idées reçues, ici comme en France, voici ce que nous avons à dire quant à l’état réel des gens autour de nous et leur misère supposée.
Nous sommes, au Togo, dans un pays qui n’a pas connu récemment de catastrophe naturelle ni humaine, qui jouit d’un gouvernement plutôt détestable, de ce que nous en savons, mais pas ravageur. Les gens sont et se disent, et se disent plus qu’ils ne le sont, pauvres. C’est un pays de pauvres, si vous voulez, mais pas plus misérables qu’on peut l’être par chez nous : allez visiter une cité de HLM, essentiellement, vous y trouverez les mêmes incertitudes et les mêmes difficultés financières. Mais ici, elles touchent tout le monde ; cela change beaucoup de choses – pas tout.
Qu’est-ce que la pauvreté, ici ? C’est ne pas trouver d’emploi parce que l’économie du pays est fort chiche, et fonctionne peu, plutôt que mal. Le gouvernement freine toute création d’entreprise des quatres fers, à ce qu’on raconte, et certainement, freinage volontaire ou non, il est efficace. C’est ne pas avoir de sécurité financière : vivre au jour le jour, ou plus exactement à la semaine, d’une manière analogue à celle dont, en France, dans la classe moyenne, on a tendance à essayer de planifier un budget sur une année, prévoir des vacances, etc. Mais ici, hors du salariat, somme toute trop rare, et c’est bien ce qui désole tous ceux qui cherchent un vrai travail, quand on a de quoi manger pour une semaine, et pas de raison de chercher plus loin, on arrête le travail. C’est avoir du mal à acheter ce qu’on veut – ou ce dont on a besoin, mais en la matière, tout est si relatif : de quoi a-t-on besoin, sinon d’un toit et de nourriture ? Si vous veniez chez nous, qui vivons dans une maison assez privilégiée, vous remarqueriez qu’il n’y a pas de chasse d’eau dans les toilettes : on utilise un seau, que l’on remplit à la douche, dans la pièce qui jouxte les toilettes. En France, ce serait un signe de pauvreté. Ici, je crois qu’ils ne voient simplement pas assez d’intérêt à la chasse d’eau pour en faire installer une. Il y a quelques jours, nous avons jeté un oeil au coût de l’opération ; c’est largement dans leurs moyens : beaucoup moins cher que leurs deux téléviseurs, la parabole, le boîtier pour les chaînes par satellite, les deux fourneaux, le « fourneau à gaz » (notre ami le butagaz), c’est, tous frais compris, à peu près autant de dépense qu’une semaine d’alimentation pour Pierre et moi, d’après ce qu’ASTOVOT nous en a dit, etc. Mais s’ils ne le font pas, je crois, c’est de la même manière que chez nous, on ne fait pas spontanément installer un thermostat dans sa cabine de douche sous prétexte qu’on en a les moyens : on le fera le jour où il faudra de toute façon changer les choses. Dans la salle de douche, il y a un pommeau : denrée rare qui fait rêver quelques autres volontaires. Mais en réalité, toute la famille se lave à la bassine, en partie parce que l’eau chaude est dans la pièce d’à côté, et que la bassine permet de se laver dans une eau tiède et sympathique, mais surtout par habitude : je les vois de temps en temps se laver à l’eau froide dans la bassine – certains jours, je pratique également cette technique, sans autre raison, je crois, que le mimétisme. Et ne me parlez pas d’économie d’eau : d’une part, l’eau courante n’étant pas filtrée comme en Europe, elle coûte peu, et vient des cours d’eau assez généreux dans la région, d’autre part la technique de la bassine, telle qu’ils l’utilisent, ne consomme pas moins d’eau… d’une troisième part, étant donnée l’eau qu’ils jettent et usent par ailleurs, manifestement il ne s’agit pas d’une question d’économie cruciale dans les plateaux. Tout ça pour vous dire que la vie ici est peu équipée, dénuée de ce que nous appelerions le confort moderne, mais pas toujours par pauvreté – par habitude. Parce que c’est la norme. Parce que personne ne voit grand intérêt à ce qu’il en soit autrement.
C’est avoir du mal à trouver nombre de produits à l’état neuf – nommément tout ce qui rencontre ici peu de marché. Le ordinateurs, les voitures… Car on paye très, très cher tout ce qui est importé, comparativement au prix de tout le reste, et même s’il s’agit de produits essentiels comme les médicaments. On prend conséquemment l’habitude de vivre de récupération, d’occasion, de déjà usé ailleurs…
Quant aux maladies qui suivent en cortège nos idées de la pauvreté… parlons en ! Beaucoup d’entre ceux qui sont éduqués insistent nettement sur la nécessité d’informer les gens, de leur apprendre qu’en matière de santé, on ne cherche pas à économiser en allant voir la vendeuse de comprimés, que quelques gestes d’hygiène au moins peuvent être très simplement implantés dans les familles… Et s’ils insistent tant, c’est qu’en effet les gens pourraient accéder à ce type de soins. Ils hésitent – comme vous si l’on vous propose un soin dentaire à plusieurs centaines d’euros. Le but des campagnes, de toute la sensibilisation, est de vous convaincre que pour les fois où ce soin dentaire est nécessaire pour empêcher, je ne sais pas, une mort à échéance de quelques mois, alors il faut débourser l’argent, et non pas aller acheter un grigri et prier Dieu. Ici, ce n’est pas évident. Dans notre maison, les enfants ne dorment sous moustiquaire que depuis une semaine : les centres médicaux ont organisé une distribution lors de la dernière campagne périodique de surveillance et vaccination pour les enfants avant cinq ans. Vous emmenez votre enfant, vous le faites examiner et vacciner, gratuitement, et *en échange* on vous offre une superbe moustiquaire bleue imprégnée. On vous fait du bien, et en échange on vous offre un cadeau. Or, une moustiquaire imprégnée, c’est tout à fait dans les moyens de notre famille. Mais ils n’y avaient pas pensé, et puis c’est tout de même une dépense, et puis est-ce nécessaire ?…
Mais quant au confort, à la richesse – ils envient celle des européens, telle qu’on la voit à la télévision, mais je ne sais pas s’ils seraient prêts à adopter le mode de vie que nous pratiquons, et qui peut-être a quelque chose à voir avec cette richesse. Tout cela est de plus fortement brouillé par le verre déformant qui sépare le pays d’ici du pays yovo. Comme nous ne voyons l’Afrique que telle qu’on nous la montre : pauvre, malade, en proie aux catastrophes, ils ne voient l’Europe que dans les beaux quartiers de Paris qui passent aux informations, et le niveau de vie des sitcom ou des films. J’en parlais une fois avec un autre enseignant, et il me disait, fort étonné par mon affirmation qu’en terme de catastrophes naturelles, nous avions parfois des inondations qui ne valent pas les leurs tous les mois de septembre, mais sont tout de même conséquentes pour ceux qu’elles frappent : « mais alors, pourquoi on ne parle jamais des catastrophes en Europe ? » Il y a cette comparaison et dévalorisation permanente sur des critères de richesse – tout le monde croit peu ou prou la télévision, dans les deux sens. A cela s’ajoutent la conversion et ses effets : les occidentaux peuvent, lorsqu’ils viennent ici avec leur argent converti de l’euro acheter n’importe quoi et payer des choses qu’ils ne se permettraient pas chez eux. un chauffeur particulier ici, c’est le prix d’un plat de spaghetti chez nous. Et le plat de pâtes d’ici… ce n’est rien en monnaie d’Europe. Le kilo de tomates, ici, c’est à peu près, disons 25 cts d’euro. Quand un togolais émigre, il est peut-être très pauvre en France, mais si sur ses 500 euros de revenu, en habitant dans un taudis à 250 euros, s’il vit chichement et économise encore 150 euros pour les envoyer au pays, il semble milliardaire – 150 euros, ce sont plus de 100 000 F CFA, un meilleur salaire que tous ceux que j’ai entendus ici, un salaire de gros notable qu’il envoie comme subsides à sa famille, en leur disant que c’est ce qui reste de ses revenus après dépenses. La question de la conversion est essentielle, mais les gens ici n’ent ont pas souvent conscience. Ils croient souvent que l’émigré doit être aussi riche en France, que les occidentaux qui ont ici un chauffeur particulier et ne se refusent rien doivent faire de même au pays…
Enfin, ce qui semble appuyer et fonder à la fois tout cela, c’est question du pouvoir et du poids dans le monde – être un « pays pauvre », c’est ne pas compter. Peut-être le problème est-il surtout celui des valeurs selon lesquelles on organise nos sociétés et un systèmes mondial. Peut-être, comme on finit par l’entendre, le lien n’est-il pas si évident entre PIB d’un pays, richesse, et importance dans le monde et la diplomatie. Mais le fait est que ce lien existe, et qu’être riche est un des facteurs majeurs pour le pays qui veut faire entendre sa voix. Et ils savent bien qu’ils ne sont que des pions manipulés par les grands, par les pays qui ont de l’argent et sous lesquels ils se sentent souvent écrasés – la rancoeur existe, et nous devrions nous méfier. Levi-Strauss raconte quelque part que les conditions pour que deux populations vivent en paix ont quelque chose à voir avec une certaine égalité des conditions matérielles, et la suffisance des ressources et de l’espace pour que chacun ne bute pas en permanence sur l’autre*…
*Le regard étranger, chp 2, je crois, après le grand développement sur les évolutions génétique et culturelle de l’homme, comparées dans leurs modalités.
Tags: pauvreté, vie quotidienne
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