* Métissage.

Posted on février 4th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Vous l’aurez compris, par nos témoignages, ou plus probablement sans les attendre : en Afrique, tout ne fonctionne pas très bien. A y regarder de plus près, ce qui ne fonctionne pas, c’est ce qui est importé. C’est à dire tout, apparemment, pour nous – mais pas l’essentiel pour eux, qui ont une façon différente de vivre et de considérer les choses, et pas tout à fait les mêmes niveaux de comparaison ou d’exigence. C’est par exemple ce régime politique reconnu comme acceptable par l’Occident : la démocratie, toujours pas implantée ici, en grande partie parce que de plus puissants acteurs lui nuisent, mais aussi peut-être justement par le fait-même qu’elle a été importé un jour chez des gens qu’aucune histoire n’avait menés jusque là. La démocratie, pour certains africains, c’est ce qui permet à chacun de se dire qu’il peut devenir le chef, qu’un chef s’élit, ou se renverse – c’est pareil : en somme, il n’est pas immuable. Je trouve la parole certes naïve, mais révélatrice d’une réalité profonde et pas encore tout à fait passée. (Il faut dire qu’on ne l’aide pas à passer.) Toujours est-il que de grandes structures, étatiques ou non, ont été un jour héritées des nôtres, sans que ce soit le choix des gens d’ici, et que depuis, on fait avec, sans se demander quelle part des choses on veut ou ne veut pas garder, provisoirement ou définitivement. On laisse exister, et on espère une amélioration.

Au milieu de tout cela, le statut du volontaire est quelque chose d’étrange. On arrive en se disant qu’on est là pour apporter notre aide en s’insérant dans des projets et des volontés locales : pour répondre à des problèmes que les habitants auraient eux-même posés. Mais très vite, on se rend compte que les gens attendent beaucoup de nous, sans réellement savoir quoi. Ils n’ont pas de tâches précises à nous assigner, mais sont persuadés, globalement, que chez nous, tout est mieux, et que nous pouvons transformer leur misère en notre richesse.

C’est qu’ici, il n’y a pas de grande réflexion sur ce qu’est le développement, sur ce que l’on veut en faire, en somme sur ce que le pays veut devenir. Dans les villes, et les endroits « évolués », pour utiliser un terme déjà heureusement désuet – mais on aimerait que le concept le soit aussi – on discerne petit à petit un grand vide, et comme une brisure dans les êtres et dans la société. Parfois, s’ils ont l’impression d’être comme nous en moins bien, c’est parce qu’ils le deviennent réellement : de grands pans de la société traditionnelle se perdent, et les valeurs d’antan n’ont plus de cohésion, parfois plus d’existence. Ce n’est pas le métissage, ce n’est pas le créole, c’est la juxtaposition de deux mondes qui se frottent l’un à l’autre, et se dégradent petit à petit par érosion. Alors, entre la perte d’une tradition et l’incapacité à être nous, ils nomment misère tous leurs problèmes, et attendent de nous que nous les résolvions – car la misère, ça se résoud avec l’argent, et le développement, ça s’apprend en imitant les gens développés, n’est-ce pas ?

Tout cela, au fond, ne fonctionne pas. Souvent, j’ai peur pour eux. Quand je lis Amadou Hampâte Bâ, je sursaute un peu en reconnaissant dans ses admonestations pourtant pas si anciennes comme une prophétie, malheureusement réalisée. « L’Afrique sera demain ce que vous ferez d’elle. Si vous cessez d’être africains, il n’y aura pas une Afrique, il y aura seulement un continent. Et là, vous aurez arraché une page de l’histoire de l’humanité. Vous serez absents. » Est-ce déjà le cas ? Et là où ça l’est, que devient-on quand on a abandonné une culture en croyant qu’on en serait plus léger pour cheminer, mais qu’en réalité on se retrouve seul dans un grand vide sans repères ?

Mais de nos jours, la vie intellectuelle toute entière, la réflexion est absente, presque inexistante, étouffée en tout cas. Alors qu’espérer ? Si on se demande parfois en Europe à quoi servent toutes les instances de la production de savoir, de la critique sociale et culturelle, de la réflexion, des analyses parfois gratuites et sans application… ici il n’y en a pas, et ça se ressent. Pas de recherche en pédagogie, donc pas d’avancées en la matière, ni même la capacité d’intégrer au système les progrès manifestes proposés par d’autres régions du monde. Pire, surtout, il n’y a personne pour réfléchir à l’identité africaine d’aujourd’hui, à qui on est, ou à qui l’on veut être quand on porte le double héritage d’une tradition ancienne, et de la colonisation qui a laissé sa marque indélébile. La colonisation, c’est l’école, l’état, la santé, mais aussi la culture européenne toute entière, dont l’horizon désirable est resté le rêve d’une grande partie de l’élite aujourd’hui : de ceux qui veulent boire du lait importé, pour avoir l’air… « évolués ».

Alors il y a aussi les gens qui tentent de dérouler l’étendard traditionnaliste – et si ma méfiance est instinctive, toute la population n’est pas si armée contre ces récupération. Il y a matière à s’inquiéter. Les politiques de l’authenticité sous diverses dictatures africaines n’ont jamais servi qu’à rompre des accords économico-mafieux avec d’anciens partenaires pour en tisser ensuite d’autres de même nature. La conférence des princes, rois et chefs traditionnels africains ne se réunit que sous l’i(g !)nitiative d’un Khadafi qui veut composer une nouvelle légitimité à ce que l’Occident lui reproche (parfois, quand on en a le temps entre deux contrats) de mépris des droits de l’homme. Finissons sur une parole africaine, pour la note d’espoir qu’il y a à se rappeler les quelques grandes envergures culturelles d’ici.  » Mais attention,il ne s’agit pas non plus d’être conservateur à tout prix !… Nous devons nous considérer comme un arbre. Au fur et à mesure que l’arbre grandit, il y a des branches qui meurent. Il faut savoir les couper, mais il ne faut pas couper le tronc, ni déraciner l’arbre. Les agronomes nous ont montré que parfois on peut aussi greffer. Donc, il faut savoir couper les branches mortes, greffer, mais jamais couper le tronc. » (Hampâte Bâ, encore.)

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2 Responses to “Métissage.”

  1. murmi Says:

    Et qui est-ce, Hampâte Bâ? Tu as des lectures à nous conseiller? Ce qu’il écrit a l’air vraiment intéressant…

  2. Elise Says:

    Il est intéressant. Il est par exemple l’auteur du recueil de contes africains que tu m’as offert en juillet dernier. Et c’est généralement lui que l’on cite sans le nommer quand on parle d’un grand intellectuel africain à l’ONU. Le vieillard africain qui meurt, c’est comme une bibliothèque qui brûle… ça doit te dire quelque chose ? Eh bien, c’est lui.

    Pierre et moi nous disons depuis quelques jours que nous devrions rédiger quelques conseils de lectures pour ceux qui voudraient lire un peu sur l’Afrique et le Togo. Je rassemble quelques titres d’Hampâte Bâ, et je t’envoie ça.

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