* Deux villes.

Posted on mars 26th, 2009 by Elise. Filed under Non classé.


Avez-vous remarqué comme, aujourd’hui, tout va par deux ?

Nous habitons pour quelques jours Agbodrafo, paisible bourg entre lac et Océan. En somme, nous sommes en vacances au bord de l’Atlantique. A la baignade près, ce sont les vacances familiales du mois d’août : repos, éloignement de l’ordinaire, visites de villages pittoresques, historiques, chaleur, lectures, farniente. Je bronze, et Pierre prend quelques coups de soleil, signe sûr que nous avons laissé de côté notre mode de vie habituel. Jusqu’à l’odeur des tortillons insecticides, achetés à Kpalimé pour les quelques occasions où nous nous trouverions ailleurs que sous une moustiquaire à la nuit tombée.

Et nos visites nous mènent aux lieux d’histoire un peu récente du Togo. Aného hier, Togoville aujourd’hui. Mais il est tard, et j’écrirai demain…


Aného, de nos jours, est une bourgade de peu d’intérêt pour les habitants d’Afrique de l’Ouest. Heureusement, elle se trouve sur la route côtière, qui relie Lomé à Cotonou ou Porto-Novo, Abidjan à Lagos, Freetown à Libreville, Dakar à – je m’égare : nous ne venions que de Porto Seguro (mensonge, soit dit en passant), alias Agbodrafo, à quelques dizaines de kilomètres. Sans ce hasard de la grande route, nous aurions eu sans doute bien du mal à nous y rendre. Qu’elle fût la première capitale du « Togo », c’est à dire du protectorat allemand établi sous ce nom et sur un territoire qui entretient quelques rapports avec le pays actuel, à quoi bon ? Ca ne donne pas de bonne raison pour y aller. Etrange ville, capitale décrépie de la décrépitude. Notre guide, le fidèle Petit Futé, (trop) connu de tous (ceux qui y ont leur nom), nous avait un peu prévenus : flânez dans les rues, et découvrez ce que vous pourrez, mais ne comptez sur aucune explication, car personne ne vous guidera. Personne n’habite les vieilles maisons coloniales. Même pas les termites, qui ont déjà fini de ronger tous les planchers. Autour de larges rues, parfois plantées d’arbre, et dont le tracé distingue tout de même Aného d’autres villes togolaises, les façades ont parfois un air de Venise, encore plus bas tombée sur la pente du déclin. Anciennes demeures de commerçants, d’administrateurs, de toute une vie passée, dans un temps qui n’était sans doute pas beaucoup plus mauvais – il faut dire que le présent est un temps peu enviable. Mais pas de tristesse autour de ces carcasses, peut-être parce que les vivants ne ressentent pour elles aucune compassion, et se demandent plutôt ce qu’elles font là. Il est vrai qu’on s’interroge un peu. Nous seuls, qui ne sommes pas d’ici, communions avec ces vestiges du passé, et d’une esthétique européenne qui vient titiller en nous des impressions de familiarité. Pourtant, leur ombre semble engendrer comme un esprit de dérision et de ruine dans les rue. Des restes de minibus, même plus bons à rouler, sont juchés sur des parpaings pour servir de boutiques. Les seuls îlots entretenus sont les églises. Aného possède un étonnant édifice néo-renaissance italienne, au programme iconographique digne de Rome ou de la Toscane, et au style touchant de candeur non laide. A Lomé, à Kpalimé, les allemands ont édifié un plus habituel et plus austère néogothique (mais surtout néo), qui ne nous avait pas habitués à cela. J’ai quelques photographies, mais pas la force de prétendre que le chef d’oeuvre en vaille artistiquement la peine. C’est seulement très curieux, et assez émouvant, si le rire attendri est une émotion. Il paraît qu’on est fier aussi, là-bas, du collège Saint Pierre et Paul – rien à voir avec les écoles d’aujourd’hui : c’est un grand édifice, entouré d’un mur, avec de vieux bâtiments à étages – lui aussi touché par les faveurs de l’entretien écclésial. Oh, et bien sûr les enclos de stuc, illustrant un psaume, ou un verset du Nouveau Testament. Ne manquez pas le mouton affecté d’un léger strabisme convergent, dans les bras d’un Christ un tantinet approximarif, sous les fleurs en plastique qui l’honorent. (Cela dit, ce matin encore, au mur d’une boutique, un portrait de Christ bleuâtre clignait des yeux quand nous avancions : comme les petites cartes pour enfants, dans les paquets de céréales Kellog’s, sur lesquels on voit un ptérodactyle battre des ailes, ou le dernier héros de dessin animer agiter sa main. Alors à côté de ça, le stuc !) A Aného, il y avait aussi un grand marché sympathique, avec quelques stands de fétiches, relégués dans un coin, quoiqu’ils ne sentent pas plus mauvais que les fruits de mer. Des vendeuses fortement opposée à l’idée de nous fournir des ignames, et beaucoup plus motivées pour du riz. Et un front de mer très vieux, avec des maisons au bord d’une plage paradisiaque, quoiqu’un peu sale. Cocotiers, sable blanc, vagues écumeuses sur l’océan azuré, tas de détritus, et si vous y prêtez bien attention, peut-être plate-forme pétrolière à l’horizon.

Certaines mauvaises langues prétendent que j’ai du mal à vivre dans une parole et une écriture concise.

Togoville, c’est tout autre chose. Un village coquet, et conscient de son charme. On parle de lui dans les guides touristiques, et il reçoit quelques visiteurs presque tous les jours. Des couleurs rehaussées régulièrement, et des créneaux qui se détachent entre le palmiers, au flanc d’une colline. Pour y arriver, nous avons partagé les pirogues que prenaient les femmes pour aller au marché, et traversé le lac. Il ne faut pas toujours être attentifs au temps passé dans une pirogue – vingt minutes dans un sens, une heure dans l’autre, bah… A Togoville, une association prend en charge les visiteurs. On donne un guide au touriste, et on le promène courtoisement, en lui proposant des explications intéressantes, quoique pas toujours présentées avec la conscience historique la plus profonde. C’est plutôt agréable. On rend visite aux vaudous, très nombreux dans ce haut lieu de la religion traditionnelle, à l’icône de la Vierge apparue sur le lac Togo en 1973, et authentifiée par Jean-Paul II en 1985, aux authentiques chaudrons d’eau bénites, édifiés dans le plus pur style « Parc Astérix » – ressemblance frappante, et j’ai des photos à l’appui de mes dires. Votre guide vous parle de poulets sacrifiés, de sorciers éliminés, et de barque miraculeuse sur le même ton, avec la même croyance apparente et ferme – ou peut-être une incapacité linguistique au second degré et au discours indirect ? Cela dit, la véritable raison d’être de cet encadrement touristique est de catalyser les hommes blancs, et surtout leur argent : on paye l’association villageoise, puis on est défendu par son guide de toutes les sollicitations particulières. Le guide est également un écran entre la population et le visiteur, afin de limiter les modifications particulières du mode de vie en vue de satisfaire le touriste, son envie de pittoresque, ses attitudes parfois malvenues, et ultimement sa générosité pécunière. Quant à l’artisanat et aux reproductions d’objets typiques, ils sont aussi pris en charge par la structure collective. Ainsi, les fonds récoltés sont répartis plus justement entre les salaire des artisans concernés, et les différentes dépenses publiques de la communauté, et chacun n’est pas supposé quémander son propre et vague profit. Le lieu continue à vivre, sans être envahi par le visage de l’industrie touristique. Le système est pratiqué dans un certain nombre de villages en Afrique de l’Ouest, dans les régions les plus visitées, et c’est une réponse intéressante à la problématique touristique. J’ai du mal à la concevoir comme définitive, entre autre parce qu’elle répond au problème sans le résoudre, et que le yovo reste celui qui va « donner l’argent », non pas en échange du service rendu, mais un peu par principe, parce que c’est normal. On est en-deça de l’échange idéal. Mais tant que le monde restera divisé comme il l’est par des étages démesurés de richesses, sans escaliers pour les relier… A Togoville, nous avons aussi expérimenté sans le vouloir une technique de négociation exceptionnellement efficace. La boutique associative recelait divers objets, un peu différents de ceux de Kpalimé, et qui suscitaient mon interrogation : objets anciens, copies, créations, sources d’inspiration, statut des oeuvres, etc. Renseignements pris dans les grandes largeurs, plus par curiosité que par intérêt d’acheteuse, les choix de la boutique sont intéressants, mais les prix prohibitifs, car nous n’avions pas emporté avec nous beaucoup de liquidités. Bien sûr, le guide ne nous a coûté que « 5 euros » (annoncés sous ce nom) chacun – mais cela fait 7 500 F CFA, et pour ce prix-là, je peux traverser le pays entier en taxi-brousse ! Et comme je ne traverse pas le lac avec toute la fortune de mes comptes en banque suisses ou luxembourgeois… Après dix minutes de nos déambulations paisibles et amusées entre les différentes techniques artisanales, l’un des membres de l’association est revenu vers moi avec un air conciliant, en me demandant de combien nous disposions. Il avait bien remarqué mon regard séduit et mes questions un peu plus poussées sur l’une des statues anciennes. Il nous l’a cédée avec un peu d’hésitation pour l’argent qui nous restait, diminué du prix de la traversée pour rentrer chez nous – c’est beaucoup moins que ce que j’aurais pu négocier en insistant, et je n’envisageais même pas d’essayer. Il semblait un peu incertain, mais s’en consolait en disant que nous étions ses frères volontaires, déjà là depuis octobre dernier, en partie togolais… (Du reste, un peu par principe, je ne compatis jamais avec un Togolais qui a accepté de me vendre quelque chose, quel qu’en soit le prix : il faut se rappeler que, pour la plupart d’entre eux, je ne suis qu’un porte-monnaie.) Ma statue, en tout cas, vous salue bien. Elle est très contente que nous l’ayons adoptée. Je crois que je l’ai vue bouger toute seule, la nuit dernière.

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